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La chronique de Marie : un mot essentiel

  • pierrehyppolite
  • 29 nov. 2021
  • 3 min de lecture
« Iel : pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. »

Telle est la définition que Le Robert donne du pronom « iel », qui vient d’entrer dans la version en ligne du dictionnaire. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Si l’équipe éditoriale refuse toute interprétation militante, la décision de cet ajout demeure politique, et légitime l’utilisation du pronom non-binaire. L’initiative a ainsi été saluée sur les réseaux sociaux, notamment par la communauté LGBT+ ; en revanche, comme on pouvait s’y attendre, l’enthousiasme n’est pas unanime. Le député LREM François Jolivet s’est empressé de solliciter l’Académie française pour rétablir l’ordre des choses ; celle-ci n’a pourtant aucun pouvoir concret sur l’évolution de la langue, sinon un pouvoir symbolique, une zone d’influence assez limitée. Elle n’a d’ailleurs pas encore réagi à cette interpellation, peut-être trop occupée à la non-rédaction de son propre dictionnaire.

Jean-Michel Blanquer n’a pas manqué l’occasion pour partager son avis, et appuyer les propos de François Jolivet sur Twitter : d’après le ministre de l’éducation nationale, l’écriture inclusive ne saurait constituer « l’avenir de la langue », et risquerait au contraire de désorienter les plus jeunes dans leur apprentissage. C’est une vision bien réductrice de leurs capacités de compréhension du monde. Heureusement, les maisons d’édition n’ont pas attendu son aval pour faire confiance aux enfants. En 2019, Dent-de-lion, une maison d’édition québécoise, publiait déjà – et pour la première fois peut-être – un album utilisant le pronom iel : L’enfant de fourrure, de plumes, d’écailles, de feuilles et de paillettes. Non genrée, cette histoire raconte le quotidien de Miu, qui peut transformer son corps selon ses envies.

Quel que soit l’âge de leur public ou la spécialisation de leur catalogue, les maisons d’édition féministes ont pris beaucoup d’avance sur les dictionnaires, et utilisent couramment de nombreuses formes d’écriture inclusive, dont font partie quelques mots-valises à l’exemple du pronom « iel ». On trouvera ainsi, au gré des pages, le démonstratif « celleux », ou encore « auteurice », débarrassé de son point médian : de quoi gagner un peu de place lorsqu’on cherche à raccourcir un texte.

Ces inventions linguistiques font aussi le bonheur de nombreux‧ses écrivaines et écrivains. Ce sont autant de nouvelles façons d’introduire un personnage, de jouer sur son identité, de contourner les attentes des lecteurices. En poésie, ces néologismes amènent avec eux de nouvelles sonorités propres à rajeunir les rimes, et d’autres rythmes de lecture. Les typographes ne sont pas en reste ; les propositions de nouvelles ligatures entre les lettres abondent. Pour son projet de fin d’études à la Haute École d’Art et de Design de Genève, Tristan Bartolini a ainsi dessiné une typographie inclusive qui a reçu le Prix Art Humanité 2020 de la Croix-Rouge. Elle comprend quarante nouveaux caractères qui résultent de la fusion de plusieurs lettres comme le A et le E. L’avenir de la langue est du côté de la création, du côté de celles et ceux qui s’en emparent et jouent avec elle plutôt que de la cadenasser.

Mais revenons aux dictionnaires. Le Robert n’a pas dit son dernier mot. Le 17 novembre, Charles Bimbenet, son directeur général, a répondu aux accusations de Jolivet et Blanquer en rappelant simplement la vocation du dictionnaire : « La mission du Robert est d’observer l’évolution d’une langue française en mouvement, diverse, et d’en rendre compte. Définir les mots qui disent le monde, c'est aider à mieux le comprendre. » La vague qui a traversé les réseaux sociaux montre combien c’est nécessaire.

En 2022, le pronom « iel » devrait rejoindre les pages du dictionnaire imprimé.

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