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La chronique de Judith : censure aux États-Unis

  • pierrehyppolite
  • 17 oct. 2021
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 juil. 2022

Ahhh les États-Unis, leurs vastes plaines, leurs parcs nationaux et chaînes de montagnes, leurs self-made men pionniers du rêve américain, leur excellence académique, leur morale, leur clan Kardashian, leur 45e président au bronzage inimitable, son hypocrisie…

Le 29 septembre dernier, dans l’État du Wyoming, Hugh et Susan Bennett déposaient une plainte pour obscénité à l’encontre de la bibliothèque du comté de Campbell. En cause ? La possession par ladite bibliothèque de plusieurs ouvrages à destination d’enfants ou d’adolescents portant sur la sexualité, la reproduction ou les questions LGBT. Joints à la plainte, une liste des ouvrages outrageants, et un soutien indéfectible de la pasteure locale, Susan Sisti. Les livres ciblés sont les suivants : Ce livre est gay de Juno Dawson, Comment fait-on un bébé d'Anna Fiske, Doing It de Hannah Witton, ou encore Sexe Is A Funny Word de Corey Silverberg. Me risquant à en chercher quelques extraits sur le net, voici sur quoi je suis tombée.



En somme de la bienveillance, de l’humour et de la pédagogie. Berk. Ces ouvrages « dégoûtants », risqueraient fort, en effet, de dévergonder les jeunes et innocents esprits en les incitant aux plus lubriques des comportements. Aucun doute possible, il s’agit là d’un crime de premier ordre. Fort heureusement, des citoyens exemplaires comme le couple Bennet veillent et s’insurgent. N’ayez crainte compatriotes américains, la pudibonderie made in USA continuera de dicter les bonnes mœurs encore longtemps. Interrogé par les médias locaux, le procureur en charge de la plainte répond « En tant que parent, je trouve ces ouvrages inappropriés et déplacés. Mais en tant qu'homme de loi, je dois faire avec la Constitution, et ce genre de cas est très subtil ». Voilà qui est rassurant.


Championne de gymnastique, l’Amérique est habituée aux grands écarts entre laxisme et puritanisme. Mais écartelée entre les deux, la culture se fissure. On se souviendra par exemple de la polémique qui avait agité les États-Unis en août 2020 lorsque Netflix publiait sur sa plateforme l’affiche promotionnelle du film Mignonnes de Maïmouna Doucouré. Outrées par le choix du visuel, montrant 3 fillettes en crop-top et mini-jupes, maquillées et capturées dans des positions suggestives, les pétitions demandant le retrait du film s’étaient multipliées. Au royaume des concours de beauté à la Little Miss Sunshine et des émissions de téléréalité comme Honey boo boo, qui suit le quotidien d’une participante de l’un de ces concours, il fallait oser. Car si le visuel choisi par le Netflix US soulevait effectivement des questions, le film en lui-même, tentant au contraire de dénoncer l’excessive sexualisation des jeunes filles, ne pouvait être incriminé.

La plainte déposée par les Bennet est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans un contexte de régression des acquis sociaux et de réaffirmation du discours religieux dans l’espace publique. N’oublions pas que le Texas vient de rétablir une loi controversée interdisant la majorité des avortements dans cet état. Cette loi, entrée en vigueur le 1er septembre 2021, interdit d’avorter une fois que les battements de cœur de l’embryon sont détectés, soit à environ six semaines de grossesse. En Arizona, un comité du ministère de l’Éducation proposait en 2018 de retirer du programme des écoles secondaires toute référence à l’évolution, au profit d’un discours créationniste. Mais désormais, la censure n’est plus seulement religieuse, elle est aussi portée par la gauche libérale et dictée par l’opinion publique et la bienséance. Ainsi des livres comme Des souris et des hommes de Steinbeck, Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain ou Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee ont été retirés des programmes de plusieurs universités américaines. La raison ? « Il y a des mots qui mettent les gens mal à l'aise » résumait ainsi le vice-président du collège de Biloxi dans le Mississipi.

Mais revenons à nos moutons. La censure américaine, fréquemment moquée en France où la laïcité et la liberté d’expression sont soulevées en étendards, semble pourtant gagner du terrain et n’est pas sans incidence sur l’édition, notamment dans la jeunesse. Lorsque j’étais en stage cet été, l’une des responsables des cessions de droits à l’étranger me racontait que, régulièrement, lors de rachats par les États-Unis de parutions françaises, il fallait demander à l’illustrateur/illustratrice de faire quelques ajustements : cacher un sein par-ci, modifier la couleur de peau d’un personnage par-là. Cette adaptation à la sauce américaine va plus loin : pressentant que tel livre sera racheté par les États-Unis, leurs attentes sont désormais devancées : attention pas d’amérindien en couverture, c’est prendre le risque d’être accusé d’appropriation culturelle, pas de nudité non plus, elle rime avec vulgarité, et surtout ne jurez pas Marie-Thérèse, ne jurez pas.


L’hiver est proche, on pourra peut-être se réchauffer autour d’un chaleureux autodafé cette année.

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